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Ce que Marguerite lit
20 novembre 2013

Danse noire - Nancy Huston

danse

Sur un lit d'hôpital, Milo s'éteint lentement. A son chevet, le réalisateur new-yorkais Paul Schwarz rêve d'un ultime projet commun : un film qu'ils écriraient ensemble à partir de l'incroyable parcours de Milo. Dans un grand mouvement musical pour chanter ses origines d'abord effacées puis peu à peu recomposées, ce film suivrait trois lignes de vie qui, traversant guerres et exils, invasions et résistances, nous plongeraient dans la tension insoluble entre le Vieux et le Nouveau Monde, le besoin de transmission et le rêve de recommencement. Du début du XXe siècle à nos jours, de l'Irlande au Canada, de la chambre sordide d'une prostituée indienne aux rythmes lancinants de la capoeira brésilienne, d'un hôpital catholique québecois aux soirées prestigieuses de New York, cette histoire d'amour et de renoncement est habitée d'un bout à l'autre par le bruissement des langues et l'engagement des coeurs. Film ou roman, roman d'un film, Danse noire est l'oeuvre totale, libre et accomplie d'une romancière au sommet de son art.

 

Nancy Huston fait partie des auteurs dont j'apprécie énormément l'écriture. A vous qui ne la connaissez pas encore, je conseille vivement Lignes de faille ainsi que L'empreinte de l'ange.
Ceci étant posé... Comme j'ai eu du mal à lire ce roman... Non mais ne partez pas encore! Je m'explique...
Voici un récit qui passe d'une génération à l'autre, d'un lieu à l'autre, d'une époque à l'autre, et même d'une langue à l'autre. Tenter de le lire avec un petit malade qui réclame beaucoup d'attention et enchaîne les bêtises n'était pas une bonne idée. Je l'ai donc laissé de côté pendant un bon moment, bloqué aux alentours de la page 60, pour le reprendre par la suite, avec plus de succès.

Tout comme dans Lignes de faille, Nancy Huston mêle ici le récit de 3 générations : le grand-père Neil, jeune Irlandais exilé au Québec au début du 20ème siècle, son fils Declan et Nita, mineure d'origine indienne, droguée et prostituée à Montréal, et son petit-fils Milo. Mais contrairement à Lignes de faille, qui était divisé en 3 parties successives bien nettes, correspondant à 3 époques et donc à ces 3 générations, Danse noire passe sans cesse d'un personnage à l'autre, et ce à des âges différents. On découvre ainsi, dans le désordre, Neil jeune homme en Irlande, rêvant d'être le prochain James Joyce, père au Québec, dépassé par sa nombreuse progéniture, grand-père, enfin, initiant son petit-fils à la littérature; ainsi que Milo adulte, enfant et... bébé encore à naître. 
Ces 3 générations sont ancrées dans leurs cadres géographiques, historiques et politiques respectifs, ayant trait à la rébellion irlandaise et aux velléités d'indépendance du Québec (sujets que vous et moi maîtrisons bien sûr à la perfection). On parle anglais en Irlande, anglais et français au Canada, voire même, selon le milieu socio-économique, des versions patoisantes ou argotiques de ces deux langues, et l'auteur, refusant la voie de la facilité, n'opte pas pour un récit écrit intégralement en français. Non, elle écrit en anglais, en québécois, alternant le langage châtié de Paul et celui plus populaire de Nita, les passages en anglais étant traduits en bas de page en respectant le niveau de langage.

Je m'en voudrais de vous détourner de ce roman, ce qui serait une erreur ! Soyons claire : oui, il est d'un abord assez compliqué, de par la multiplicité des époques, des langues et des personnages. De par ses contextes historiques, aussi. Ce n'est pas, me semble-t-il, un roman que l'on pourra lire d'un oeil devant la télé; il demande une certaine concentration pour ne pas perdre le fil, et ne pas se perdre totalement dans les données historiques si là n'est pas notre point fort.
Malgré ces difficultés, cette lecture fut un très bon moment. J'ai apprécié passer du temps dans le bureau de papy Neil, je me suis attachée à ce petit Milo dont les années d'enfance et d'adolescence furent si sombres. Mais surtout, j'ai retrouvé le talent de Nancy Huston, sa plume, sa capacité à entremêler les destins, l'Histoire et les histoires de ses personnages.
J'ai en outre beaucoup aimé son choix narratif, sa décision de faire raconter par Paul, réalisateur et compagnon de Milo, la vie de ce dernier sous forme de film en gestation : scénario, découpage des scènes ("On coupe"), accompagnement musical, décors, fondu au noir, réflexions sur la mise en scène (scène vue par les yeux de Nita, survol de plusieurs années racontées par une voix off, etc.). C'est ce qui donne son rythme, son originalité, son cachet au livre. Et c'est ce qui explique sans doute pourquoi Nancy Huston a tenu à ne pas rédiger le roman dans une seule langue, mais a choisi de faire s'exprimer chaque personnage dans sa propre langue, avec son propre vocabulaire, les notes en bas de page faisant office, me semble-t-il, de sous-titres.
En faisant de ses personnages des artistes (écrivains, scénariste, réalisateur), elle nous interroge sur le pouvoir et le rôle de l'écrivain, sur son travail, sur la censure, sur le rapport au spectateur et à ce que l'on peut lui montrer. Le tout se doublant également d'une réflexion sur la maternité, sur la transmission, et sur la place que chaque homme peut (espérer) occuper selon son milieu, son époque, sa langue ou son statut.

PriceMinister me demande d'attribuer une note à ce roman, et ce n'est pas facile. Ce n'est pas facile parce que le roman ne l'est pas (et d'ailleurs rédiger ce billet a également été assez difficile, ça doit se sentir). Je lui attribue finalement la note de 16/20. Pas pour ses personnages auxquels, à quelques exceptions près, je ne me suis pas vraiment attachée. Pas pour l'histoire en elle-même, dont certains aspects ne sont pas franchement ma tasse de thé (je pense par exemple à certaines descriptions assez crues, aux thèmes de la drogue et de la prostitution). Mais pour la très belle écriture, une fois de plus, de Nancy Huston. Pour la façon dont elle gère son récit, ses personnages, leurs époques, dont elle arrive à structurer ce qui aurait pu n'être qu'un énorme fouillis. Pour le travail de recherche historique qu'elle a abattu, sur des sujets tels que la Rébellion de Pâques en Irlande, le Bloody Sunday, le mouvement pour l'indépendance du Québec ainsi que son travail sur la langue. Bref un roman difficile certes, mais envoûtant par bien des aspects et très bien maîtrisé.

 

rentréelittéraire

7/12

 

Merci à PriceMinister qui m'a envoyé ce roman dans le cadre de ses Matchs de la rentrée littéraire. C'était une première participation pour moi, nul doute que je retenterai ma chance l'année prochaine  :)

priceminister

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Commentaires
V
Bonjour,<br /> <br /> Très belle critique ! :-)<br /> <br /> Pour moi aussi c'était la première participation aux MRL, avec ce même titre.<br /> <br /> Ma critique à moi c'est par ici : http://auxecrires.wordpress.com/2013/11/18/danse-noire-un-livre-film-bilingue-et-sous-titre/
Répondre
K
Lecture difficile ? Mais j'ai toujours envie de le lire. Rassure-toi, tu ne m'as pas détournée de ce roman.
Répondre
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