Antigone - Jean Anouilh
Voici ma première participation au challenge d'Ankya, En 2014, je lis du théâtre.
J'avais très envie de découvrir l'Antigone de Jean Anouilh depuis ma lecture du Quatrième mur de Sorj Chalandon. Je l'ai trouvé lors de ma traditionnelle visite au rayon livres des Emmaüs cet hiver, et j'apprenais l'existence du challenge d'Ankya au retour des vacances. Il fallait donc que je m'inscrive ;)
Je ne suis vraiment pas habituée à lire du théâtre. Ma dernière expérience doit remonter au collège, et je ne me souviens même plus de ce que l'on avait étudié...
Antigone est une tragédie en un acte, en prose, présentée par Anouilh durant l'Occupation. Notez que je ne connais pas l'oeuvre originale, l'Antigone de Sophocle, donc ne vous attendez pas à une comparaison entre les deux pièces.
Alors que Créon, roi de Thèbes, a interdit à quiconque d'enterrer le corps de Polynice, sous peine de mort, Antigone (fille d'Oedipe, soeur de Polynice et future belle-fille de Créon) brave cet interdit afin de couvrir de terre la dépouille de son frère.
Après un début léger, voire rigolard entre la jeune femme et sa nourrice, Antigone nous pose la question de l'obéissance et de la résistance. De l'obéissance aveugle à la loi, à l'ordre, à la hiérarchie, lorsque cet ordre va à l'encontre de nos convictions. Antigone a fait son choix et elle est prête à mourir pour celui-ci. Elle ne veut pas d'une vie en demi-teinte. Elle ne veut pas détourner les yeux, nier ses convictions et en être récompensée par une bouchée de bonheur. Elle veut "tout, tout de suite, et que ce soit entier".
Mais tout aussi intéressant est, pour moi, le personnage de Créon qui, parce qu'elle doit épouser son fils, est prêt à couvrir Antigone, à condition qu'elle renonce à sa rébellion. Créon qui incarne cette loi qu'elle refuse et qui tente de lui faire comprendre qu'il est lui-même écartelé. Qu'il doit, de par sa position et son rôle, promulguer des lois et faire exécuter des hommes (et des femmes) parce que tel est son rôle, alors qu'il souhaiterait, parfois, l'éviter. C'est vraiment le passage qui m'a le plus intéressée; ce débat entre Antigone et Créon, l'une vantant et criant le "non", le refus de la loi et de l'injustice mais aussi le devoir de refuser d'endosser le pouvoir si celui-ci doit se doubler de décisions difficiles à prendre, l'autre estimant qu'il faut bien l'endosser, pour le bien commun et éventuellement par-delà ses propres désirs ou convictions. Antigone qui semble ne voir que le blanc et le noir, tandis que Créon tente de lui montrer qu'il existe selon lui des nuances. Mais tous deux, au final, campent sur leurs positions, et l'issue est inéluctable.
Difficile de ne pas y voir une allégorie de la résistance face à un gouvernement de Vichy qui tenterait de s'expliquer. Difficile de ne pas y voir une dénonciation de la passivité et un appel à l'action.
Mais il me semble que cette pièce, dans cette adaptation, a sans problème traversé les décennies et qu'elle peut tout-à-fait être extraite de ce contexte historique; les thèmes abordés (la politique, la famille, l'amour, la liberté, l'engagement) restant aujourd'hui encore d'une grande actualité.
Je regrette de ne pas avoir découvert ce magnifique texte et son personnage plus tôt, dès l'adolescence. Je suis par contre ravie de l'avoir acheté, et non pas emprunté, car je suis persuadée qu'il fera partie de ces livres que je lirai et relirai sans lassitude (comment d'ailleurs a-t-on pu le revendre?!)
Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent. Et cette petite chance pour tous les jours, si on n’est pas trop exigeant. Moi, je veux tout, tout de suite, -et que ce soit entier- ou alors je refuse ! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d’un petit morceau si j’ai été bien sage. Je veux être sûre de tout aujourd’hui et que cela soit aussi beau que quand j’étais petite –ou mourir.
Quel sera-t-il, mon bonheur ? Quelle femme heureuse deviendra-t-elle, la petite Antigone ? Quelles pauvretés faudra-t-il qu'elle fasse elle aussi, jour par jour, pour arracher avec ses dents son petit lambeau de bonheur ? Dites, à qui devra-t-elle mentir, à qui sourire, à qui se vendre ? Qui devra-t-elle laisser mourir en détournant le regard ?