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Ce que Marguerite lit
17 avril 2019

Exode

La migration ici et ailleurs

Je me suis penchée ce matin sur la photo proposée par Bric à book pour l'atelier du mois, mais l'inspiration est aux abonnés absents. Alors, j'ai gribouillé un peu sur un autre sujet, et au détour des pages j'ai eu envie de sortir du carnet ce texte, rédigé lors d'une formation continuée.
Il s'agissait d'une journée organisée par Annoncer la couleur (programme d'éducation à la citoyenneté mondiale), sur les possibilités d'aborder les migrations en classe, au cours de laquelle les formatrices nous ont proposé un (trop) court atelier d'écriture. La consigne était de choisir une photo parmi celles étalées devant nous (et montrant des migrants) et de raconter, à la première personne, le voyage de la personne qui y figurait, en utilisant si possible les cinq sens. J'ai opté pour une photo représentant plusieurs personnes, de dos, sur une route, dont un homme portant un enfant sur les épaules. C'est cet homme que j'ai eu envie de faire parler. * 
Une petite vingtaine de minutes plus tard, voici ce que j'avais proposé :

 

Au début, nous étions bruyants. Chacun expliquait d'où il était parti. Quelles raisons l'avaient poussé à quitter sa famille, ses racines, les ruines qui lui servaient encore plus ou moins d'habitation. Nous disions nos espoirs, nos rêves; le copain que l'un voulait retrouver; l'argent qu'un autre espérait envoyer à ses parents. Les mères rassuraient les enfants, leur disaient de compter ou de chanter en marchant.

Tout cela faisait un brouhaha qui m'est vite devenu insupportable. Moi, tout ce que je voulais, c'était rester encore un peu avec elle, en pensées. A peine avais-je eu le temps de l'enterrer, qu'il avait fallu emballer nos quelques vêtements, le peu d'argent qui me restait, avant de prendre mon fils par la main pour l'emmener loin de ces lieux de désolation. En avançant, les images des bombardements se superposaient à celles des endroits traversés, tout aussi désolés, dépeuplés, couverts de ruines et de poussière. Le visage de ma femme peinait à se frayer un chemin jusqu'à mes rétines, et aujourd'hui j'ai peur qu'elle s'efface peu à peu de ma mémoire, de mes souvenirs.

Il y a bien longtemps que nous avons épuisé les maigres réserves de nourriture emportées. Mon fils, qui a arrêté de marcher depuis plusieurs jours, que ses jambes ne portent plus, passe de mes épaules à celles de mes compagnons d'infortune. Son poids pèse de plus en plus sur mes muscles fatigués. Je sens son souffle au creux de ma nuque lorsqu'il somnole, et je me dis alors qu'au moins la faim et la soif ne le tenaillent plus. Mes compagnons lui ont offert leurs dernières gouttes d'eau, à peine de quoi constituer une gorgée. A peine de quoi apaiser la brûlure que le soleil et la poussière font naître dans notre gorge.

***

La fatigue, le doute et la faim nous ont pris, l'un après l'autre. Les enfants ne pleurent presque plus. Leurs yeux regardent sans les voir les paysages que nous traversons. Ils ne nous demandent plus pourquoi nous ne nous arrêtons pas. Ils ne nous demandent plus quand nous rentrerons à la maison. Ils semblent avoir compris que nous n'avons plus de chez nous, que nous ne sommes nulle part, que nous nous contentons d'avancer, et d'avancer encore, en espérant trouver, au bout de la route, un ailleurs qui nous accueillera.

*** 

Nos voix se sont tues. L'espoir pas encore. Pas totalement. Ai-je pris la bonne décision en l'emmenant avec moi?

 

*Je n'ai pas retrouvé la photo utilisée lors de l'atelier; celle-ci accompagne la présentation du dossier pédagogique "La migration ici et ailleurs", proposé par Annoncer la couleur.

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