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Ce que Marguerite lit
17 février 2014

Deux petits pas sur le sable mouillé - Anne-Dauphine Julliand

thaïs

Tout commence sur une plage, quand Anne-Dauphine remarque que sa fille marche d'un pas hésitant. Après une série d'examens, les médecins découvrent que Thaïs est atteinte d'une maladie génétique orpheline. Elle vient de fêter ses deux ans et il ne lui reste que quelques mois à vivre. L'auteur lui fait alors une promesse : " Tu vas avoir une belle vie. Pas une vie comme les autres, mais une vie dont tu pourras être fière. Et où tu ne manqueras jamais d'amour. " Ce livre raconte l'histoire de cette promesse et la beauté de cet amour. Tout ce qu'un couple, une famille, des amis, une nounou sont capables de mobiliser et de donner. Il faut ajouter de la vie aux jours, lorsqu'on ne peut pas ajouter de jours à la vie.

 

Ce livre, je ne voulais pas le lire. J'avais dit et répété que jamais je ne le lirais. Parce que je n'étais pas sûre d'en sortir indemne (je peux lire pas mal d'atrocités lorsqu'il s'agit de fiction -et encore, parfois la fiction rappelle la réalité, j'ai ainsi dû quitter la pièce pour cacher mes larmes en lisant "Juste avant le bonheur"-, mais je n'ai pas ce recul lorsqu'il s'agit de la réalité). Mais aussi parce que je n' "aime" pas ce genre de titre, qui me donne l'impression d'être une voyeuse, qui me semble écrit pour faire pleurer dans les chaumières, et je n'aime pas cette façon de faire. Je comprends tout à fait la démarche d'écrire son vécu, de le mettre sur papier, le besoin de le déposer, de l'exprimer; moins celle de le diffuser. J'avais ressenti un grand malaise, il y a quelques mois, à la lecture de "Féroces" de Robert Goolrick : la reconnaissance du besoin -légitime- d'évacuer certaines choses, mais un malaise profond quant au moyen employé. De ce fait, je ne lis généralement pas de témoignages de ce genre, et encore moins s'ils concernent des enfants.
Mais deux personnes à qui je fais généralement confiance sur le plan de la lecture m'ont convaincue qu'il ne s'agissait pas de cela ici. Que l'auteur évite les plaintes et les larmes, et qu'elle offre une vision de la vie dont tous pourraient s'inspirer. Alors je l'ai lu. En m'armant d'énormément de recul et d'une épaisse carapace, vu le sujet. Et en me disant que je n'écrirais pas de billet ensuite. Je disais il y a quelques jours sur un groupe de lecture, à propos de "Poussière d'homme" de David Lelait (décidément, pour quelqu'un qui refuse les témoignages larmoyants, j'ai semble-t-il mis mes principes au placard...), que je ne me sentais pas légitimée à donner un avis sur un texte aussi personnel. Mais il m'est impossible de refermer ce livre sans en parler. Sans faire sortir à mon tour cette grosse boule qui s'est formée, là, au fond de ma gorge. Sans exprimer à mon tour mon admiration pour cette maman, pour ses enfants, pour leur entourage. Et comme le faire de vive voix me semble -actuellement- impossible, il me faut alors l'écrire.
Voici une lecture dont on sait dès le départ que l'on ne sortira pas indemne, malgré le recul et la cuirasse. Dès le début, Anne-Dauphine Julliand nous le dit : la leucodystrophie métachromique ne laisse aucune chance au malade, aucun espoir de guérison, aucune possibilité d'échapper à un tableau clinique fait de régressions, de paralysie et d'insupportables douleurs. Elle ne nous cache pas la progression de la maladie, l'augmentation de la souffrance endurée par sa fille et par son entourage. Mais elle le fait avec énormément de pudeur et de douceur. Jamais je n'ai ressenti une intrusion dans l'intimité de Thaïs, jamais je n'ai eu le sentiment qu'elle était livrée en pâture à nos regards voyeurs. On sait son état, on sait sa dépendance, mais elle garde une grande dignité, que je ne saurais expliquer. 
Ce livre, ce n'est pas tant une description de la maladie et de son quotidien -et encore moins le récit dégoulinant de pathos que je craignais- qu'une immense déclaration d'amour d'une mère à sa fille. Elle lui dit, au-delà des rêves brisés et de la vie chamboulée, toute son admiration. Et cette admiration, je la partage, vraiment. Pas seulement pour Thaïs, mais pour tout son entourage. Je suis admirative de Thaïs, courageuse, souriante, joueuse; de son frère, si jeune encore mais tellement mûr (mûri peut-être, plutôt?), de sa soeur, née 4 mois après le diagnostic, porteuse de la même maladie, hospitalisée de longs mois, et si volontaire malgré son très jeune âge; de ses parents qui naviguent entre horreur et moments de bonheur, entre issue inéluctable et espoir, entre deux chambres d'hôpital parfois. Et, maman de deux enfants, je me sens écartelée à leur place, lorsqu'il faut choisir avec lequel de leurs enfants passer une heure. J'ignore comment il est possible d'affronter pareille situation. On m'a dit, plusieurs fois, que face à l'épreuve on ne se pose pas de questions et que l'on fait ce que l'on a à faire. Oui, sans doute, mais comment? Comment garder le sourire, comment offrir des vacances à son aîné, comment gérer les soins, la fatigue, les déplacements incessants et, toujours, ce va-et-vient entre deux enfants, l'une qui part et l'autre qui, on l'espère, va guérir? Avec beaucoup de force, sûrement; avec beaucoup de foi aussi, peu importe en quoi (religieuse, on le sait, pour Anne-Dauphine, même si elle n'en fait pas étalage); avec beaucoup d'amour, enfin.
Anne-Dauphine Julliand avait promis une belle vie à sa fille malgré la maladie, puisqu'il faut ajouter de la vie aux jours quand on ne peut ajouter des jours à la vie, et elle a tenu sa promesse. Ils ont tous tenu cette promesse, y compris Thaïs elle-même.
Et si j'ai eu le coeur gros parfois, si j'ai terminé ma lecture avec la gorge nouée et les yeux mouillés, je n'ai pas versé les pleurs que je craignais. Là réside sans doute une autre grande force d'Anne-Dauphine Julliand : raconter la si courte vie de sa fille, sans occulter le pire mais sans s'y complaire. Et quand la fin survient, elle est simplement évoquée, sans nous y entraîner, parce que là n'est pas notre place. 

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